De la destinée

Le propos de l'auteur est d'opposer destin et destinée. Le premier est la version profane de la Providence, aux décrets de laquelle nul n'est censé échapper. Identifié au hasard, à la fatalité, à la nécessité, à la loi naturelle, le destin est inéluctable. Il postule l'absolue sujétion de l'homme à une mystérieuse détermination qui dispose de lui, quels que soient ses efforts pour s'en dépêtrer. Or ce mépris des richesses potentielles de l'homme n'est pas l'effet d'une malédiction ontologique et céleste. Elle date du bouleversement que l'apparition d'une civilisation agraire et marchande a imposé à l'évolution naturelle de l'être humain. Le stade de délabrement auquel est arrivée cette civilisation, bâtie par l'homme et contre lui-même, met en lumière l'imposture d'un système fondé sur l'inversion de l'homme et de la vie. L'homme se redécouvrant aujourd'hui comme être humain est amené à découvrir un potentiel de création que la croyance à son statut d'esclave le dissuadait de revendiquer. La destinée est la mise en oeuvres des capacités créatrices de l'être en voie d'humanisation, elle est la faculté de se créer en recréant le monde. Elle concrétise la réalité d'une vie authentique, s'émancipant de l'état de survie où elle végétait. Une telle conception remet en cause les postulats et les préjugés du passé. Elle tente de supplanter par une perspective de vie la perspective de mort qui a jusqu'à nos jours imposé sa loi du déclin et de la décrépitude à l'action et à l'existence des hommes. La dialectique de l'instant et du moment privilégie la concentration temporelle à l'encontre du temps linéaire dévidant le présent dans le passé. La résistance à la prédation et à l'appropriation, ainsi que la crise de l'avoir, qu'accélère la paupérisation, favorisent le retour à la primauté de l'être. Aux mécanismes du corps fonctionnel et rentabilisé tend à se substituer le corps mu par une énergie vitale qui a été vampirisée pendant des siècles pour être transformée en force de travail. Tout annonce une mutation de civilisation et une société où il nous appartiendra d'éradiquer les comportements prédateurs en établissant la prééminence de la vie et de la conscience humaine.